• LE TIMBRE

    Le Timbré


    Dans un monde tout rond,  vivaient des gens gros et ronds dans des villes carrées, pleines de boîtes, toutes sortes de boîtes...

    Il existait dans une de ces villes, un personnage lugubre, taciturne et solitaire, il avait une allure de mort-vivant. Son visage émacié portait péniblement deux grands yeux sombres. Sa maigreur faisait peur, et son attitude lente, tant dans la démarche que dans l'action, le décalait du reste de la population.

    Il inquiétait tout ce beau monde. On lui attribuait tous les défauts et toutes les perversités nés au plus profond des cervelles tourmentées par sa présence. Personne ne se souvenait de son arrivée, il ne pouvait pas être d'ici, c'était forcément un étranger.

    On le surnommait le Timbré. Il ne faisait rien comme tout le monde, et pourtant il vivait en apparence comme tout le monde. Il était vrai que sa maison, à l'opposé des autres, était ronde à l'intérieur, mais ça, personne ne le voyait.

    Il était en quelque sorte insaisissable et impénétrable. La curiosité frustrée des uns et des autres motivait la haine. Tout un parterre de pensées vénéneuses jalonnait les traces de son passage.

    La ville était soumise aux lois de dix anciens chargés de gérer tous les problèmes. Et l'étranger en était un de taille. Les plaintes affluaient, jamais directes, elles cognaient à leur porte en habit de soupçons et de rumeurs. C'en était trop, il allait falloir se décider à poster une bonne fois pour toute ce Timbré.

    Tous ces braves gens n'utilisaient pas le mot timbré au hasard. Ils adoraient les boîtes et les enveloppes, y collaient des tas d'étiquettes, y apposaient leur timbre, puis se débarrassaient de tout ça dans la boîte postale. Ils ne connaissaient pas la
    destination de leur colis, tout ce qu'ils savaient, c'est qu'il partait pour une autre ville. Et en retour ils recevaient les colis des autres villes. La répartition des colis et courriers obéissait à une règle simple, vous en receviez autant que vous en aviez
    envoyé.

    Et lui le Timbré, personne ne le voyait jamais poster quoique ce soit, c'était très louche. Ils rêvaient tous de le voir partir. Peu importait où il atterrirait, mais surtout ailleurs, qu'il ne restât pas ici.

    Les dix se disaient:
    Ah! Si on pouvait le mettre à la poste, il serait enfin une lettre achevée, prête au départ d'ici... Un bon coup de tampon et oust! Ah! La boîte postale!

    Le mettre en boîte, n'importe quelle boîte, pourvu qu'on ne le vît plus, ni ne l'entende...Le Timbré... Ah oui, il y avait aussi sa voix qui dérangeait, la voix du Timbré, celle qui résonne vous savez? Celle qui perturbe la voie des autres.Qu'on aimerait bien réduire au silence, la mettre en boîte quoi.

    Ah! Ce Timbré qui enveloppait de tant de désarroi l'incompréhension des dits "justes". Ce Timbré sans raison qui raisonnait différemment au point de mal résonner. Troubler le son de cloches rassurant, le fêler.

    Pauvre fêlé Timbré, sa voie gênait les voix, sa voix n'avait pas de voie, seule l'ombre acceptait la fêlure de son obscure luminescence.

    Ils le mirent donc dans une boîte, le timbrèrent et le jetèrent dans la boîte postale...J'ai omis de vous dire que ces boîtes étaient très spéciales, personne n'en connaissait plus vraiment le fonctionnement, ils se contentaient tous d'y jeter la demande de ce qu'ils attendaient en retour...

    Cependant, le Timbré se trouvait être le seul qui savait, il travaillait à la boîte postale et en était le seul employé...

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